Projet Qawafel قوأفل, un appui à l’internationalisation des entreprises tunisiennes à l’échelle du continent africain : rencontre avec Amel Benredjem.

Par Justine Cacheleux et Théodore Leroi, M2 AlterEurope 2024-2025

Le 13 novembre 2024 a eu lieu une rencontre avec Amel Benredjem, chargée de la facilité d’assistance technique au projet Qawafel. Ce projet est mené par Expertise France à Tunis avec le soutien financier du Groupe AFD (Agence Française de Développement) dans le but d’appuyer l’internationalisation des start-ups et PME tunisiennes en Afrique. Expertise France Tunisie est le deuxième plus grand bureau après celui de Paris et est chargé du projet Qawafel. La Tunisie est également le premier pays où sont développés le plus grand nombre de projets. Cette rencontre a permis de mettre en lumière d’une part un secteur, celui de l’aide au développement, mais également un métier qui peut sembler flou et parfois trop technique pour être compréhensible sans une explication de la part d’une professionnelle du secteur.

Amel Benredjem, l’intervenante, est diplômée d’une licence en économie et en gestion et du master AlterEurope, effectués tous deux à Saint-Étienne. Elle est employée en tant que chargée de la facilité d’assistance technique du projet Qawafel [1] à Tunis depuis février 2024. Ses précédentes expériences professionnelles sont dans le même domaine. Elle a en effet eu une première expérience dans le métier de chargée de la facilité d’assistance technique en Turquie. À cette période, elle était chargée de l’appui au soutien des familles syriennes déplacées et plus particulièrement aux femmes et à leur indépendance financière par le biais de la gestion d’entreprise et du développement de ces dernières. Suite à cette mission en Turquie elle a également pu découvrir le métier de chargée de facilité d’assistance technique au sein de l’agence GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) qui est actuellement bailleur de fonds pour le projet Qawafel. Elle y a exercé des missions d’appui aux projets d’entreprises privées et publiques en Algérie. Mission qui l’a menée tout droit au projet Qawafel en Tunisie dont les missions sont similaires.

𝒬awafel, le renouveau des caravanes d’échange.

Inspiré par les caravanes qui sillonnaient le continent africain et qui conduisaient à un échange culturel et économique entre les quatre points cardinaux du continent [2], le projet Qawafel a une ambition économique : celle d’appuyer l’internationalisation des start-ups et PME tunisiennes et la promotion du savoir-faire tunisien au Kenya, en Mauritanie, en République démocratique du Congo (RDC) et au Sénégal. Ces quatre pays ont été préalablement identifiés par une étude menée en 2019 par le cabinet Deloitte Tunisie. Dans le cadre du projet, cinq secteurs sont priorisés : l’agroalimentaire, les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et le numérique, la santé et la pharmaceutique, l’enseignement supérieur et le BTP. Le projet Qawafel doit s’étendre sur une période de 36 mois, de mai 2023 à avril 2026 avec un budget de 3.8 millions d’euros financés par l’AFD [3]. Aujourd’hui, le projet Qawafel se développe grâce à plus de 130 collaborateurs et, à terme, le projet Qawafel a pour ambition de parvenir à appuyer l’internationalisation de 50 entreprises et d’en sensibiliser 200 sur le sujet.

Amel Benredjem fait partie du comité de pilotage qui gère les grandes orientations stratégiques du projet au sein d’une équipe de 8 personnes. Ces orientations s’organisent autour de trois grandes composantes : l’accompagnement des entreprises par des subventions et des appels à projets, l’amélioration de la visibilité de la Tunisie en coopération avec le ministère de l’Économie et de la Planification, et l’aide aux besoins d’assistance technique. Amel Benredjem est amenée à travailler avec des structures intermédiaires (par exemple, le Centre de Promotion des Exportations [CEPEX] et l’Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur [FIPA Tunisie]) et non pas les entreprises directement, quand bien même elles restent les cibles directes de ce projet. En tant que chargée de la facilité d’assistance technique, elle assiste les structures publiques et privées qui sollicitent l’appui du projet Qawafel, par l’intermédiaire de requêtes envoyées aux agences pour les structures privées ou de requêtes envoyées directement à Amel Benredjem.

ℒe développement économique au détriment des enjeux écologiques et migratoires ?

Lors de la préparation de cette conférence et de notre rencontre avec Amel Benredjem, plusieurs questions nous sont venues à l’esprit, portant à la fois sur les impacts et objectifs du projet Qawafel ainsi que sur son métier.

Dans un premier temps a été soulevé un paradoxe entre la volonté du projet Qawafel de tendre à favoriser le développement économique de la Tunisie tout en souhaitant respecter les Objectifs de Développement Durable – objectifs fixés en 2015 par les Nations Unies dans le cadre du Programme de Développement Durable à l’horizon 2030. Parmi ces objectifs se trouvent notamment des objectifs visant la lutte contre les changements climatiques [4]. Nous nous sommes ainsi interrogés sur ce paradoxe en prenant l’exemple du Sénégal, qui est un des pays cibles du projet Qawafel, et qui fait face à de nombreux problèmes environnementaux : pollution de l’air, pollution de l’eau, gestion des déchets [5]. Selon l’intervenante, l’AFD prend bien en compte ces difficultés et développe différents programmes afin de réduire l’impact environnemental des projets.

Cette première interrogation a permis ensuite de soulever la question des flux entraînés par les échanges économiques, et plus particulièrement des flux migratoires, entre la Tunisie et les pays cibles du projet. En effet, le Président Kaïs Saïed mène une politique qui vise à restreindre de plus en plus la liberté de mouvement et à renforcer le contrôle des migrations dans le pays [6], chose qui semble contraire à la volonté de développement économique. Cependant, pour Amel Benredjem, il n’y a pas vraiment de paradoxe puisque malgré ces restrictions, il existe des accords de libre échange et de marché commun en Afrique de l’ouest.

S’est enfin ajoutée la nécessité de comprendre pourquoi les critiques formulées par le passé à l’égard de l’intervention de bailleurs de fonds étrangers n’avaient pas valu pour un acteur, de surcroît français, tel que l’AFD. En effet, le Président tunisien a déjà critiqué dans le passé l’intervention de fonds étrangers dans le pays. Lorsque le FMI avait proposé à la Tunisie plusieurs milliards de dollars, cette proposition de financement avait été qualifiée par le dirigeant tunisien de « diktats inacceptables » [7]. Selon Amel Benredjem, cette question ne s’est jamais vraiment posée puisque le comité de pilotage et les chargé.e.s de projet coopèrent avec le ministère de l’Économie et de la Planification à Tunis et qu’ils sont en lien avec des personnes ressources qui facilitent leurs échanges. De plus, l’intervenante a également mis en avant le fait que les subventions étaient globalement moins critiquées que les prêts dans le pays. Dans le cadre du projet Qawafel, 90% de prêts et 10% de subventions sont alloués à l’État tunisien particulièrement pour les projets de développement technique.

ℒa facilité d’assistance technique, un terme technique pour un projet presque technocratique

Dans un second temps, des précisions ont également été apportées sur le métier de chargée de facilité d’assistance technique. Sous cet intitulé se cache une multiplicité de missions : répondre aux requêtes des structures qui demandent une assistance technique, servir d’appui aux infrastructures en organisant des formations afin de préparer au mieux les entreprises lors de salons économique ; tout en participant à la communication, au suivi, et à l’évaluation de l’impact du projet afin de faire du reporting auprès des différents bailleurs de fonds. Ces missions ont permis, selon l’intervenante, de développer sa patience, sa persévérance, son écoute, sa diplomatie et sa disponibilité. L’intervenante a cependant reconnu que cela s’accompagnait de contraintes notamment à cause du reporting constant à effectuer auprès des bailleurs de fonds. Plus largement, cela peut questionner le mode de fonctionnement de l’aide au développement, sa complexité, et l’augmentation des contraintes administratives. Pour Sonia Couprie, dans son article « Le management stratégique des ONG ou la quête de légitimité », l’augmentation des contraintes administratives au sein de l’aide au développement permet d’acquérir une certaine légitimité. Cette même légitimité contribue, selon elle, « non seulement à leur pérennité opérationnelle, sur le terrain, mais aussi à leur pérennité organisationnelle » [8].

 

En conclusion, cette conférence a été l’occasion d’en apprendre davantage sur l’appui à l’internationalisation des start-ups et PME tunisiennes et à la promotion de leur savoir-faire sur le continent africain. La rencontre avec Amel Benredjem a également permis d’éclairer à la fois les objectifs stratégiques du projet et la complexité du métier de chargée de la facilité d’assistance technique. Ses missions, oscillant entre gestion administrative, accompagnement technique et reporting auprès des bailleurs de fonds, mettent en lumière les subtilités d’un secteur souvent perçu comme technocratique. Malgré ces contraintes, ce métier exige des qualités humaines et relationnelles. Néanmoins, des questions demeurent sur les implications de ce type d’initiatives, notamment en termes d’équilibre entre croissance économique et durabilité, ou sur l’acceptabilité sociale de l’intervention d’acteurs étrangers dans un contexte politique tendu. Ces interrogations reflètent les dilemmes structurels de l’aide au développement, qui cherche à conjuguer légitimité, impact et respect des souverainetés locales.

[1] Expertise France recrute un.e Chargé.e de la facilité d’assistance technique en Tunisie. Opportunités du Monde [en ligne]. URL : https://www.lesopportunites.com/opportunite/tunisie/avis-de-recrutement/administration/expertise-france-recrute-un-e-charge-e-de-la-facilite-dassistance-technique-en-tunisie/
[2] Episode 11 – Partie 02 : Le projet QAWAFEL : un duo tuniso-français destiné aux marchés africains par CJD Talks [en ligne]. URL : https://podcasters.spotify.com/pod/show/cjd-tunisie/episodes/Episode-11—Partie-02–Le-projet-QAWAFEL–un-duo-tuniso-franais-destin-aux-marchs-africains-e2h7ku3
[3] Qawafel, Présentation du projet Qawafel, qawafel.tn [en ligne]. URL : https://qawafel.tn/presentation/
[4] Nations Unies, 17 objectifs pour transformer notre monde. URL : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/
[5] Changements climatiques, pollution et environnement au Sénégal. URL : https://www.cres-sn.org/wp-content/uploads/2023/06/CRES_SEN-R9-AB-presentation_webinaire_14dec22.pdf
[6] Malik Ben Salem (2021), « En Tunisie, le pouvoir suspecté d’entrave à la liberté de circulation », courrierinternational.com [en ligne]. URL : https://www.courrierinternational.com/article/polemique-en-tunisie-le-pouvoir-suspecte-dentrave-la-liberte-de-circulation
[7] TV5 Monde, Tunisie : le président Kaïs Saïed s’oppose au FMI et bloque le versement d’un prêt de deux milliards de dollars, information.tv5monde.com [en ligne]. URL: https://information.tv5monde.com/afrique/tunisie-le-president-kais-saied-soppose-au-fmi-et-bloque-le-versement-dun-pret-de-deux
[8] S. Couprie (2012) . Le management stratégique des ONG ou la quête de légitimité. Mondes en développement, n°159(3), 59-72. https://doi.org/10.3917/med.159.0059.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Admin blog (Pascal Bonnard) (17 janvier 2025). Projet Qawafel قوأفل, un appui à l’internationalisation des entreprises tunisiennes à l’échelle du continent africain : rencontre avec Amel Benredjem. AlterEurope. Consulté le 23 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/133wx